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8-La Hyre
Article mis en ligne le 23 août 2023
dernière modification le 25 août 2023

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"La Nativité. De Laurent La Hyre.


Une lecture esthétique et spirituelle de cette œuvre.


Une œuvre de ce type et de cette taille n’a pas seulement une fonction décorative. Elle est une catéchèse, mieux : une invitation à la méditation. Il importe de ne pas oublier qu’en cette seconde moitié du 17ème siècle, la Messe est célébrée pour sa plus grande partie, à voix basse et en latin : les fidèles n’ont pas de missels véritables à leur disposition, et il n’y a pas de traduction stricte, encore interdite à cette époque. Mais les images, les œuvres d’art parlent.


En particulier, la scène principale de ce tableau est une invitation à méditer. Elle est située dans la partie basse de l’œuvre, c’est-à-dire au plus près de l’autel, où se célèbre la Messe et au dessus duquel prenait place primitivement l’ensemble du retable. L’œuvre est censée évoquer, suggérer, expliquer ce qui se passe sur l’autel. Le lien s’établit entre le Mystère de l’Incarnation inauguré lors de la Nativité du Seigneur, et cette Présence du Christ, voilée et manifestée à la fois, dans l’Eucharistie.

Œuvre trinitaire.


La Trinité, Mystère central du christianisme révélé dans et par l’Incarnation du Verbe de Dieu avec la Rédemption, la mort et la Résurrection du Christ, est très présente dans ce tableau.


Certes on ne représente pas normalement le Père, même s’il y a des exceptions. On ne représente pas non plus l’Esprit : il y a aussi des exceptions. Ici, Père et Esprit sont représentés dans leur hauteur : le haut du ciel, le plus haut de l’église, très haut, très loin. Il faut déjà presque… la foi pour les deviner, surtout sans éclairage dans les siècles passés. Père, hors du temps, un vieillard, alors qu’Il est toujours jeune, puisqu’il n’a pas d’âge. L’Esprit : oiseau ? Pourquoi ? Un mot du 1er chapitre de la Genèse a conduit à cette représentation : « L’esprit planait sur les eaux », même si l’on a un peu vite assimilé cet « esprit », ce
« souffle », ce « vent » qui plane au début du monde à l’Esprit de Dieu, Esprit de Pentecôte, troisième Personne de la Trinité. Et au baptême du Christ, l’Esprit est là, « comme une colombe », disent les évangélistes.
Mais le Fils, puisqu’il s’est fait homme, on peut le représenter, il a visage d’homme. Et deux images sont devenues très familières : Celle de l’Enfant de la Crèche, et les artistes s’en donnent à cœur joie. Celle du Crucifié : ce visage-là du Christ, très tôt dans l’ère chrétienne, est devenu familier, presque codifié, au point qu’on le reconnaît du premier coup d’œil, partout.


Sa position ici :
• par rapport au Père : exactement à l’aplomb, et à la médiane du tableau. Fils du Père,
« non pas créé, mais engendré » dit le Credo.
• Par rapport à nous : tout près, au plus bas possible de cette œuvre.(cf Phil 2. Il s’est abaissé » « A cause de nous les hommes, et pour notre salut », dit encore le Credo.


Les triangles sont une des deux structures fondamentales de ce tableau.
Nos images imparfaites, mais tout de même symboliques, significatives, porteuses de sens, peuvent parler du mystère : ainsi, le triangle. Le tableau de La Hyre est organisé, structuré comme une série de triangles que différentes scènes occupent."

"Toutes ces structures triangulaires ont une pointe sur la médiane du tableau, comme des flèches. C’est vraiment l’événement central du tableau, du monde, du temps, cette venue de Dieu dans le monde. La médiane : ligne la plus directe entre le ciel et la terre.


Triangles, pointe en bas : Noël, descente de Dieu parmi les hommes. « Le Ciel a visité la terre ».


Triangles, pointe en haut : car cette Incarnation est tout de même destinée à nous faire regarder vers le Haut, à nous révéler qui est Dieu : plus que cela même, à nous Le faire contempler, à nous faire monter vers Lui, à nous révéler qu’il nous adopte. Il nous hisse vers lui. Dans le monde antique, en Grèce et à Rome, par exemple, le geste par lequel un père reconnaissait un enfant pour SON enfant, consistait à le prendre dans ses bras, à le lever, l’élever, c’était un sens du verbe SUSCIPERE. Du Christ, l’Ecriture dit que le Père l’a élevé. En particulier à l’Ascension. Il est également dit de l’homme que Dieu l’a élevé. (cf Ps 8)


Et La Hyre lui-même explique en quelque sorte : Le mot GLORIA est orienté vers le bas : la gloire de Dieu descend vers nous. Le mot DEO est orienté vers le haut : c’est un…poteau indicateur : Dieu est en haut, c’est là qu’il faut le chercher. Le petit angelot, le plus élevé : son bras et sa jambe droite désignent le Ciel et le Père. L’Enfant Jésus vient nous le montrer. Il faut noter la position de l’Enfant Jésus, son orientation, par rapport au fidèle qui le regarde. Comme si La Hyre – quelle pudeur et quel respect ! n’avait pas osé donner un visage à cet Enfant ! et aussi comme si cet Enfant déjà nous montrait dans quel sens nous devons regarder, non plus vers nous, mais vers le Père. Il est aussi Celui qui nous dira qu’il faut « marcher derrière lui », le suivre.


Ces triangles, puisqu’ils parlent de l’Incarnation, il est logique de les interpréter en commençant par le haut :


Le 1er : il passe par le A de Gloria. C’est l’annonce par les anges aux hommes de la Bonne nouvelle. La 1ère annonce.


Un 2ème ne contient que du ciel et les angelots. L’ « ordre » du Ciel, pour reprendre un terme pascalien : le monde de Dieu, monde divin.


Un autre passe par le centre du tableau : L’Incarnation réalise, comme disent les Pères de l’Eglise, l’admirable échange. Dieu se fait homme, pour que nous soyons divinisés. Pris en Dieu, reçus en Lui, adoptés comme ses enfants. L’homme, par ses propres moyens ne pourrait s’approcher si près de Dieu. Lui fait le chemin. Il est le Chemin, « la Voie, la Vérité, la Vie ».


Des triangles dans l’autre sens, pointe en haut :


Le tout 1er, au ras du sol, pourrait on dire. Il part des 2 coins inférieurs du tableau, traverse les jambes de Marie et Joseph et son sommet est … le nombril de l’Enfant Jésus. A nos pieds. C’est cela l’Incarnation : le Fils se fait serviteur. A nos pieds, et il le sera encore plus, le soir du jeudi Saint, quand il lavera les pieds de ses disciples. Même ceux de Judas. Geste de service extrême. Geste d’esclave. Ici, déjà, il est aux pieds de Marie et Joseph. Le vrai berceau de l’Enfant, ici, ce sont les jambes de Marie et Joseph. Quant à la crèche : un peu de paille, un linge et une sorte de rondin de bois : déjà la croix ?


Un 2ème triangle, juste au dessus, ne contient pas grand chose, mais sa construction est bien significative : un peu de la jambe de Marie, un peu de celle de Joseph, les 2 petites jambes gigotantes de l’Enfant Jésus, et, donnant le mouvement des deux côtés de ce triangle : les 2 mains jointes de ce personnage en prière, en adoration. En silence. Le bas du tableau est adoration silencieuse, alors que le haut, si l’on ose dire, est plein de musique, du chant des anges, représenté par la banderole, les phylactères… Gloria in excelsis !"

"Un 3ème dessiné par les mains jointes de Marie, la tête du personnage en adoration, et un peu du museau du bœuf. Marie : il fallait que l’humanité du Fils de Dieu lui fût donnée directement, vraiment. L’adorateur : regard, silence, méditation, interrogation. Et ce bœuf.. Pas de trace de bœuf et d’âne auprès de Jésus, dans l’Evangile ! Mais : de la crèche on passe vite, et on brode … Cf Isaïe1, 2-3 « Cieux écoutez, le Seigneur parle : j’ai élevé des enfants, je les ai fait grandir, mais ils se sont révoltés contre moi. Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne la crèche de son maître. Israël ne connaît pas, mon peuple ne comprend pas ».L’âne, dans la Bible, est aussi monture royale, celle du Messie à venir. Il faut aussi se souvenir que les Capucins, pour lesquels ce tableau a été peint sont fils de saint François d’Assise : et c’est précisément François qui aurait créé les premières crèches. Peut-être faut-il voir aussi dans cet énorme bœuf, une référence à ce veau d’or ou d’airain, ces cultes du taureau de l’Antiquité, veau d’or adoré même par les fils d’Israël tandis qu’ils attendaient Moïse non encore redescendu du Sinaï. Si près de l’Enfant, pourquoi ? La légende dit : pour réchauffer l’Enfant…mais rien ne nous dit que Noël fut en hiver. Le choix comme date du solstice d’hiver est symbolique. De même qu’alors le soleil nous gratifie à nouveau d’une course plus longue, et plus chaude, de même, le Christ, comme un Soleil nouveau, est la lumière du monde.)


Avant de quitter ces triangles, une remarque : Le tronçon de colonne sur lequel est appuyée la crèche, n’est pas de même style, ni de même couleur que les autres, celles du retable lui-même, et celles du tableau, qui créent, les unes et les autres, un chemin vers l’horizon.


Ce tronçon de colonne, avec ces cannelures, capte la lumière, la concentre. L’Evangile de Jean ne « raconte » pas la Nativité, mais il présente la venue du Christ, comme venue du Verbe et de la Lumière. Il est Parole, et Il est Lumière.


Une 2ème série de structures complexes organisent le tableau.


Des cercles, ou des spirales, à partir de l’Enfant, comme des cercles concentriques de plus en plus larges. L’Enfant est le point focal, la source de lumière qui éclaire et irradie sur les autres visages, près de lui. Des spirales partent de lui : il s’agit d’englober le monde entier. Ou, à l’inverse, mais ce n’est pas contradictoire, de partir du monde entier pour venir en ce point minuscule, où seule la foi peut faire contempler le Fils de Dieu.


2 grandes diagonales divisent le tableau.

A droite, le monde de l’annonce aux bergers, et sans doute à d’autres hommes aussi. C’est seulement à cause du texte de la banderole que nous savons qu’il s’agit de bergers : ce sont les paroles des bergers rapportées par l’Evangile de Luc. Mais pas de moutons, pour des bergers..…( Lc 2, 8-20)
Cependant ces personnages vus par La Hyre ne sont sûrement pas tous des bergers : l’univers est plus large, dans l’espace et sans doute le temps. La peinture ne peut qu’utiliser l’espace pour suggérer le temps.
L’espace ici, c’est d’abord la perspective du tableau, qui prend la suite de celle du Retable, s’y inscrit, allongeant l’église elle-même. Chemin de lumière vers l’horizon. Des marches qui montent même, ou qui descendent vers la crèche. Un horizon ouvert sur la lumière, comme si on attendait encore des personnages venus de plus loin, comme au-delà d’un horizon marin. Des personnages venant de plus loin ? C’est-à-dire ? nous peut-être !
Cet espace peut être mesuré par ces sortes de bâtons de bergers ou d’arpenteurs de plusieurs personnages. Mesureraient-ils l’espace qui nous sépare de Dieu ? De cet Enfant ? Ces bâtons pourraient être aussi des « bourdons » de pèlerins, comme ceux de Saint Jacques de Compostelle. Certains personnages sont très près de l’Enfant, d’autres très loin encore, certains sont peut-être déjà repartis, celui de l’extrême droite a le dos tourné, rentre-t-il chez lui ? à moins qu’il n’en attende d’autres, qui ne sont pas encore dans le cadre du tableau…"

"Et du coup on est déjà dans le temps, et plus seulement dans l’espace. Ces positions différentes dans l’espace manifestent que des durées et des temps différents sont en jeu. Tous ne sont pas partis au même moment. Tous les hommes ne sont pas touchés par la Bonne Nouvelle, par la grâce, au même moment. Nous mêmes…si tard par rapport aux bergers. Certains attendent encore…Tous les hommes ne connaissent pas encore le Christ, et certains l’ont déjà oublié.


Et ce vieux couple, debout, au centre, un peu dans le lointain, avec un enfant dans les bras. Qui sont-ils ? Deux vieux couples de la Bible sont célèbres et essentiels : Zacharie et Elisabeth, parents de Jean-Baptiste. Et plus loin dans le temps : Abraham et Sara, et leur fils Isaac. Ils représentent, ces deux couples une épreuve de la foi. Tous les deux connaissent une « annonciation » « incroyable » et ils ont du mal à croire : Sara, et même Abraham, rit ! Quant à Zacharie qui pose une question incongrue, il ne rit plus du tout : il va même être muet pendant 9 mois.


On pourrait ici privilégier Abraham et Sara ; pourquoi ? Si ce tableau présente une sorte de voyage dans l’espace et le temps, et à cette place du tableau, marquant comme une distance par rapport à l’événement tout proche, tout en bas : la naissance de Jésus, il est plus logique que ce soit Abraham. C’est le premier, lui, le Père des croyants, qui a entendu la promesse de Dieu, il est comme sur le trajet entre la Promesse initiale de Dieu et la venue du salut en Jésus Christ. Il a entendu l’annonce, bien avant les bergers de Noël, et y a répondu. « Pars, quitte ton pays », et il est parti..


Une 2ème raison fait pencher en faveur de cette interprétation : ce couple (surtout la femme qui a le dos tourné) n’a vraiment pas l’air de « regarder » la scène principale. Ils ne voient pas. C’est la définition même de la foi. Ne pas voir, croire : c’est la définition même de la foi. Ils ne voient pas, ils ne verront pas, sauf dans la foi : il faut se rappeler ce que Jésus lui-même dira de la foi d’Abraham dans l’Evangile de Jean.


Il y a une sorte de situation particulière de chacun des personnages de ce tableau, par rapport à l’écoute de la Parole de Dieu, par rapport à la foi. Tous n’ont pas entendu l’appel de Dieu, son ordre, son annonce, au même moment. Le jeune homme, à l’extrême gauche (le seul personnage debout du tableau), est en train de lire - entre les 2 colonnes - ce qui est écrit sur la banderole. Alors que Joseph se demande déjà ce qu’il va bien devoir encore faire. Joseph, peu discret dans ce tableau. Mais si on regardait le tableau de tout près, comme l’exigeait la petite longueur de l’église, Joseph joue un rôle de père, de protecteur de cette famille, devant elle, prêt à bondir en cas de danger. Et prêt à fuir en Egypte pour les faire échapper à la persécution d’Hérode. Et puis surtout, le vocable sous lequel avait été dédicacée l’église au 17ème siècle était : « Saint-Joseph des Capucins ». Il fallait bien que saint Joseph, très vénéré à cette époque, fut à l’honneur ;
Et Marie : Son visage, dans sa pâleur, semblerait presque impassible, surtout comparé à l’Enfant si vivant : un vrai bébé. Comparé aussi à l’homme en prière du centre de l’œuvre. Marie est recueillie, humble, effacée. Comme dit deux fois saint Luc : « elle retient toutes ces choses et les médite en son cœur ». En son cœur, elle ne manifeste pas. Mais son être même, dans ce tableau, dessine une ligne très discrète, nette cependant, très pure, parallèle à la médiane du tableau. Son front, sa tête, c’est-à-dire son intelligence, sa pensée, -ses mains, c’est à dire son cœur, sa disponibilité, sa prière, sa volonté, son pied, c’est-à-dire son obéissance, sa mise en route à la parole de Gabriel à l’Annonciation, tout cela trace une ligne parallèle à la médiane. La Médiane, rappelons-le, qui descend du Père, passe par l’Esprit.


« L’Esprit Saint te couvrira de son ombre », avait annoncé l’Ange, et aboutit au nombril de l’Enfant Jésus. Etre en …parallèle à la volonté de Dieu, comment y correspondre davantage ? Mais en parallèle seulement, c’est-à-dire en grande discrétion, en grande humilité, voilà la destinée de Marie, et sans doute, dans la foi et l’espérance, une image déjà de la nôtre.
Merci Monsieur La Hyre."

 
Sr Michèle-Marie

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